Courant – Le courant participatif

Auteur : Pierre Morin

Les résultats des enquêtes d’Elton Mayo dans les usines de la Western Electric de Hawthorne avaient eu un important retentissement dans le monde de la gestion, d’abord aux États-Unis, puis après la Deuxième Guerre mondiale, en Europe. Il semblait en effet démontrer que faire participer les exécutants à l’organisation des tâches qu’ils avaient à effectuer, permettait d’obtenir une plus grande productivité. Voilà qui concernait au plus haut point le management des entreprises. Mais comment pouvait-on faire participer, comment mettre en œuvre un management participatif ? 

À la même époque, alors que l’implantation en Europe des régimes autoritaires — le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne — suscitait des débats politiques très vifs, des psychologues sociaux, s’inspirant de réflexions développées de longue date par les sciences politiques, étudiaient les questions du leadership dans le fonctionnement des petits groupes. Ils avaient distingué des styles de leadership allant de l’autoritarisme à des modes participatifs et démocratiques. Au cours de leurs expériences, ils avaient constaté que des styles différents de leadership induisaient des effets différents sur l’activité des groupes et que le style démocratique semblait induire les meilleurs résultats.

Les psychologues sociaux utilisent encore aujourd’hui trois types principaux de leadership :
• le leadership autoritaire qui prend seul des décisions unilatérales, planifie, dirige, assigne les tâches et contrôle de manière répressive l’activité des membres du groupe ;
• le leadership démocratique qui fait participer son groupe à la programmation et au contrôle des activités ; des décisions prises en commun permettent à chacun d’intervenir dans le fonctionnement du groupe ;
• le leadership « laisser-faire » qui n’impose ni ne propose de modalités ou de façons de faire en dehors d’objectifs généraux. Les subordonnés décident de la répartition des tâches, des méthodes de travail et du contrôle des activités. Il s’agit là de cas limites utilisés dans les expériences de psychologie sociale. Dans la réalité, les leaders — chefs de services, dirigeants, agents de maîtrise — exercent de façon plus variée leur autorité (ils laissent faire sur tels points, se montrent plus ou moins démocratiques sur d’autres, sont plus ou moins autoritaires certains jours…).

Les expériences de Kurt Lewin

À la fin des années 1930, Kurt Lewin montre, à travers une série d’expériences avec des groupes d’enfants, qu’un leader participatif, grâce à l’animation démocratique de son groupe, obtient de meilleures performances que les leaders autocratiques ou « laisser-faire ». D’autres travaux menés pendant la guerre pour faire évoluer les habitudes alimentaires des ménagères américaines, démontrent aussi la plus grande efficacité des incitations exprimées dans un cadre participatif. Après guerre et dans les années 1950, un courant animé par les disciples de K. Lewin et prônant les approches participatives prend naissance. Deux de ces disciples, Lester Coch et John R. P. French seront parmi les premiers à appliquer ces principes au monde du travail. Ils vont essayer de montrer que les résistances aux changements d’organisation, constatées dans les usines, peuvent être réduites ou même supprimées grâce à un management participatif.

Le leadership « participatif » : plus d’efficacité ?

En 1948, Coch et French interviennent à la Harwood Manufacturing Compagny, une fabrique de pyjamas qui lance régulièrement sur le marché de nouveaux modèles pour répondre aux demandes des clients, ce qui entraîne des changements d’organisation du travail que les ouvrières supportent mal. Les chercheurs proposent de constituer dans les ateliers trois groupes d’ouvrières :
• un premier groupe à qui on explique les raisons des changements et les modifications apportées aux postes de travail ; les ouvrières de ce groupe peuvent poser toutes les questions qu’elles souhaitent à ce sujet et des réponses leur sont données ;
• un second groupe à qui on explique les changements prévus aux seules ouvrières dont le poste de travail est modifié ; celles-ci transmettent à leurs collègues les informations et les explications données ;
• un troisième groupe (groupe témoin) avec qui on procède selon les modalités habituelles, à savoir pas d’information particulière autre que l’annonce, du jour au lendemain, que les ouvrières de ce groupe sont affectées à de nouveaux postes de travail.

Après différents changements d’organisation, Coch et French font les observations suivantes :
• le premier groupe atteint la norme standard en deux jours ; dans les jours suivants, sa production augmente jusqu’à dépasser la norme de plus de dix pour cent ;
• le second groupe atteint la norme de production standard après quatorze jours dans une ambiance coopérative de travail ;
• après trente jours d’activité, le troisième groupe a un rendement inférieur de l’ordre de dix pour cent par rapport à la norme standard et ceci dans un mauvais climat de travail. De telles expérimentations confirment dans leur conviction les tenants du courant participatif.
Rapidement, ils finissent par croire qu’un leadership démocratique et participatif obtient de meilleures performances que les conceptions autocratiques ou laisser-faire. De là naissent des programmes de formation fondés essentiellement sur des techniques de dynamique de groupe, et destinés aux membres de la hiérarchie intermédiaire pour leur apprendre un style de leadership participatif.

La lecture très nuancée de Fred Fiedler

Mais d’autres expériences et d’autres études vont montrer qu’on ne peut généraliser. En 1965, dans un travail remarquable, Fred Fiedler offre une synthèse de ces questions. Il propose un schéma interprétatif à trois variables :
• les relations entre le leader et les autres membres du groupe (bonnes ou difficiles) ;
• les caractéristiques des tâches à effectuer (tâches simples structurées par des procédures définies d’exécution ou tâches complexes qu’on peut exécuter de différentes manières) ;
• le pouvoir formel que l’organisation donne au leader (pouvoir de sanctionner ou de récompenser fort ou faible).

En fait, il semble qu’un style participatif l’emporte sur les autres styles (autoritaire ou laisser-faire) seulement dans le cas où les relations entre le leader et le groupe sont bonnes, la tâche est peu structurée et le pouvoir faible. Dans d’autres combinaisons de ces variables, les styles autocratiques ou laisser-faire permettent d’obtenir de meilleurs résultats.