Par Erhard FRIEDBERG

Philip Selznick est un ancien élève de Robert K. Merton, qui a dirigé son doctorat. Après une année d’enseignement à l’Université du Minnesota, et cinq autres années à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), il rejoint le corps enseignant de l’Université de Berkeley en 1955 et y fait toute sa carrière, d’abord au département de sociologie qu’il a dirigé entre 1963 et 1967 (c’est-à-dire au moment du Free Speech Movement qu’il a défendu dans un premier temps avant de prendre ses distances), puis à l’école de droit où il a été le fondateur d’un programme doctoral interdisciplinaire sur Jurisprudence and Social Policy, le premier de son genre dans une école de droit aux États-Unis. En 1984, Philip Selznick devient professeur émérite tout en continuant ses recherches et en suivant les activités du centre de recherche qu’il avait initié.

De l’étude des processus d’institutionnalisation…

Très influencé par les écrits de Robert Michels, P. Selznick s’est d’abord fait connaître comme sociologue de la bureaucratie et de la résistance des institutions aux desseins de leurs fondateurs. Dans son étude, aujourd’hui classique, sur la Tennessee Valley Authority (une agence publique régionale pour le développement de la vallée de la rivière Tennessee), publiée sous le titre TVA and the Grass-roots, il analyse les effets de ce qu’il appelle le « processus d’institutionnalisation » (et de légitimation) d’une organisation. Il désigne ainsi les processus d’interaction et de négociation implicites par lesquels celle-ci parvient à mobiliser l’engagement et l’accord de sa constituency, c’est-à-dire de l’ensemble des acteurs (en son sein et dans son environnement direct) auxquels elle s’adresse ou qu’elle est censée servir du fait de sa mission. Et il montre comment le déroulement concret de ces processus a fini par infléchir les objectifs initiaux, le fonctionnement et, partant, la portée sociale et politique de cette innovation institutionnelle du New Deal qu’était la TVA. Dans ses deux livres suivants, Organizational Weapon et Leadership in Administration, il revient sur cette analyse de la bureaucratie qui est, pour lui, au cœur du problème posé par le fonctionnement concret des organisations et donc de l’analyse des organisations, pour s’interroger sur la manière dont ces processus peuvent être stimulés, encadrés et orientés. Cette thématique fait de lui le précurseur reconnu et le parrain (involontaire) d’un courant très puissant de la théorie des organisations d’aujourd’hui : le courant dit « néo-institutionnaliste ».

…à la sociologie du droit et à la philosophie morale

Depuis les années 1960, Philip Selznick s’est détourné de l’étude des organisations au profit de la sociologie du droit et de la philosophie morale. Il a été à l’origine de la création d’un centre interdisciplinaire, le Center for the Study of Law and Society qu’il a dirigé pendant dix ans avant de devenir lui-même professeur à l’École de droit de l’université de Berkeley et d’y fonder avec d’autres un programme doctoral tout aussi innovant sur Jurisprudence and Social Policy.

Tout au long de sa vie, que ce soit en sociologue de la bureaucratie ou en sociologue du droit, Philip Selznick s’est intéressé à la dimension institutionnelle de l’action. La question de la rencontre, toujours problématique, entre les cadres normatifs et prescriptifs de l’action et les pratiques des acteurs ici et maintenant, et la préoccupation normative sur la manière dont on peut orienter cette rencontre au service du bien commun, sont des thèmes qui parcourent son œuvre jusqu’à sa mort, comme en témoignent ses derniers livres, The Moral Commonwealth: Social Theory and the Promise of Community (1992), The Communitarian Persuasion (2002) et A Humanist Science: Values and Ideals in Social Inquiry (2008).

RENCONTRES AVEC PHILIP SELZNICK

MAJ EN COURS
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