COURANT – Approche des relations humaines

Par Erhard Friedberg

Ce courant de pensée et d’analyse des organisations (ou de la vie dans les organisations) s’est développé au cours des années 1930 et 1940 aux États-Unis. Inséparable de la crise intellectuelle et morale tout autant qu’économique et sociale déclenchée par la Grande Dépression de 1929, il dirige tout particulièrement ses attaques contre une des bases de la doctrine de Frederick W. Taylor, à savoir sa conception de l’homo economicus : un être humain mû uniquement par l’appât du gain. Le « mouvement des relations humaines » propose une vision et une analyse beaucoup plus pertinente, plus fine et plus réaliste de la motivation des individus au travail.

Contrairement aux espoirs de F. W. Taylor, la diffusion de sa doctrine dans l’industrie n’a pas permis de pacifier les relations sociales : partout, et très vite, l’application de ses préceptes d’organisation va se heurter à une farouche résistance de la part des ouvriers et de leurs syndicats. Sur le plan théorique, les simplifications excessives de sa doctrine d’organisation et la vision mécaniste et étroitement technicienne du comportement humain sur laquelle elle repose, vont être soumises aux critiques souvent féroces de la physiologie et de la psychologie du travail industriel.

La physiologie et la psychologie du travail dans l’industrie

Ces disciplines, à partir d’enquêtes très minutieuses, portant sur les implications physiologiques et psychologiques du travail industriel, comme les problèmes posés par la fatigue, la monotonie, les rythmes de travail, l’inadaptation des machines… montrent les bases approximatives et peu « scientifiques » des techniques tayloriennes. C’est le cas notamment d’une des bases maîtresses de ces techniques, l’étude des temps et des mouvements nécessaires à l’accomplissement d’une tâche. Aux méthodes dogmatiques de standardisation apportées par le taylorisme et aux théories pseudo-scientifiques qui l’ont prolongé, ces disciplines opposent les résultats de leurs travaux centrés sur les limites que le « facteur humain » impose à toute tentative de rationalisation. On pourrait aujourd’hui sourire devant les trésors d’énergie et d’ingéniosité dépensés pour étudier et mesurer avec exactitude l’effort musculaire ou la quantité de calories nécessaires à l’accomplissement d’une tâche donnée, pour bâtir des situations expérimentales rigoureuses afin de mesurer l’effet de la monotonie d’une tâche ou d’autres variables (la plupart du temps physiques, comme l’éclairage, l’humidité, le stress…) sur le comportement et donc aussi sur la productivité des ouvriers. Mais on aurait tort de sous-estimer l’importance de ce mouvement. Certes, les enquêtes qu’il a suscitées se situent toutes dans le droit fil de la pensée taylorienne, dont elles ne remettent pas réellement en cause les postulats fondamentaux. En ce sens, elles ne sont que le complément nécessaire du taylorisme, assouplissant seulement ce que celui-ci peut avoir d’excessivement rigide et mécaniste. Mais en donnant naissance à un courant de recherche et d’expérimentation puissant et multiforme sur l’homme au travail, la physiologie du travail, puis la psychotechnique vont faire progresser notablement les méthodes d’investigation, et, donc, les connaissances expérimentales et positives sur les problèmes posés par le travail industriel dans les grandes organisations. De fait, elles vont créer peu à peu les conditions d’un premier dépassement partiel du taylorisme par le mouvement des relations humaines.

Naissance de l’école des relations humaines : l’enquête à l’usine de la Hawthorne

Le point de départ de ce mouvement est une enquête célèbre, menée par une équipe de chercheurs de l’université de Harvard sous la direction d’Elton Mayo entre 1927 et 1932, à Hawthorne, dans un établissement de la Western Electric, importante entreprise de construction électrique aux États-Unis. Cette enquête se proposait de vérifier des hypothèses tayloriennes et psychotechniques sur l’influence des conditions d’éclairage sur la productivité des ouvriers. En fait, elle nous offre l’histoire de la découverte d’un nouvel objet d’étude, à travers les échecs successifs de tous ses objectifs initiaux.

La découverte du « facteur humain »

Le résultat principal de l’expérience du relay-assembly test-room, à savoir l’amélioration simultanée et continue de la productivité et du « moral », de la satisfaction des ouvrières du groupe-test, reste inexplicable à la lumière des hypothèses initiales. Il ne devient compréhensible que si les chercheurs admettent que, contrairement à ce qu’ils croient, les individus ne réagissent pas directement aux conditions physiques de leur situation de travail, mais indirectement, à travers la perception qu’ils ont de celles-ci. Et cette perception à son tour est fonction des sentiments et des attitudes liées à leurs expériences personnelles antérieures ainsi qu’à la réalité des relations qu’ils ont et des interactions qui ont lieu sur le lieu du travail. On découvre ainsi l’importance des facteurs affectifs et des motivations psychologiques pour la compréhension du comportement humain au sein d’une organisation. Dans cette perspective, une usine, un bureau ou, de manière générale, toute situation de travail ne se résument plus seulement à des lieux de production gouvernés par des exigences techniques et économiques. Ils sont aussi considérés comme des lieux où des personnes humaines sont en relation les unes avec les autres, développent des sentiments les unes à l’égard des autres, et forment des groupes dont la structure influence à son tour leur comportement. Bref, il faut tenir compte du fait que toute situation de travail est aussi structurée par un ensemble de sentiments complexes, qui se développent selon leur logique propre et dont les exigences se superposent à celles, techniques et économiques, de la production. En d’autres termes, l’individu au travail n’est pas isolé, il fait partie de groupes informels ; il n’a pas que des motivations économiques, il a aussi des motivations affectives. Il n’est pas seulement une main, il est aussi un cœur. Il apporte sur son lieu de travail des besoins psychologiques plus ou moins conscients (de sécurité, d’appartenance, de reconnaissance…) qu’il cherche à satisfaire à travers les relations qu’il noue avec tous ses partenaires. Et la « structure informelle », c’est-à-dire les régularités de relation entre les membres d’une organisation, reflète cette logique des sentiments et ces besoins affectifs, suppléant ainsi à la « structure formelle », qui ne permet pas de satisfaire ces besoins. Elle exprime en quelque sorte la résistance du « facteur humain » aux exigences rationnelles et techniques de la production. En même temps, elle en est le complément indispensable.

Un apport fondamental

Nous avons beaucoup de mal, d’aujourd’hui, à saisir la nouveauté radicale qu’a représentée à l’époque cette découverte. À nos yeux, elle peut sembler une évidence. Mais, malgré toutes ses limites et ses insuffisances, l’apport de l’étude de la Hawthorne a été fondamental au double plan de la réflexion et de l’action. Elle a donné naissance à un immense effort de recherche et d’expérimentation, qui s’est attaché à étudier ce monde nouveau et fascinant des sentiments au travail, à explorer la structure sociale sous-jacente à la vie des individus et des groupes sur les lieux de travail et à en analyser l’impact sur le fonctionnement des organisations. Elle a contribué à une profonde révolution de la sensibilité, obligeant les théoriciens de l’organisation, comme les consultants et les dirigeants, à accepter l’existence d’un monde ignoré jusque-là, et à revoir peu à peu leur philosophie de l’action en le prenant en compte.

+ bio 200,243,246,209,247
+ lecture 157, 121,112, 100
+ art 20? 37,510,528
+ enquête 40201